dimanche 13 mai 2012

Qualisto ou le manque de travail

Qualisto, c'est lui
C'est un poney fjord, adorable et amical envers les humains.
Il doit avoir environ 7ans. Ce n'est pas mon cheval, mais il est en pension au même endroit que ma jument, et fait donc parti des chevaux que je soigne (nourris en particulier) régulièrement. Qualisto n'est pas débourré et ne travaille pas. Ce n'est pas nécessairement un soucis. Je ne suis pas convaincue que tout cheval doive travailler et être en conséquence "débourré" pourtant ...

Qualisto a un comportement assez juvénile : curieux, insistant mais qui évolue fortement à l'heure actuelle vers le très irrespectueux et l'agressivité.
En fait,

Qualisto a besoin de travailler.


Tout d'abord, parce que Qualisto s'ennuie.

Dans une première période, il vivait au pré, avec des copains et de l'alimentation à volonté, ce qui n'est pas forcément bon pour lui d'ailleurs car il est facilement en surpoids.
Ses compagnons étaient Bouyou, un grand sang-chaud belge d'une 20aine d'année, Square, un pur sang-anglais de 5ans (ces deux chevaux sont la cause de l'alimentation poussée des équidés de ce pré) et un vieux poney type pottock, d'une 20aine d'année aussi, Ernest.
Lors de son intégration dans le pré, Qualisto a voulu se lier d'amitié avec Ernest, mais le vieux ronchon n'aime que les filles, et n'en a pas voulu.

Finalement, il est devenu grand copain avec Square.

Square et Qualisto jouaient beaucoup, des jeux de mâles :
En général, Qualisto prenait l'initiative du contact. il l'embêtait un peu et Square répondait : ils se mordillaient gentiment, se cabraient un peu, se poussaient... Puis, le ton montait, les morsures se faisaient plus dures, ils se couraient après, ou plutôt Square s’enfuyaient et Qualisto lui courait derrière... Puis Square revenait quand Qalisto ne suivaient plus... Bientôt, les postérieurs volaient un peu.
Les jeux de poulains, des jeunes mâles en particulier, consistent à tester les forces de caractère, à argumenter sur leur capacité à être dominant, à tester leur habileté à se battre ...

Ils ne se faisaient pas mal, mais il y avait des bobos. Rien de grave, c'était du jeu, ça leur faisait du bien au fond...






Sauf que Qualisto, jamais il ne s'arrête, il était toujours après Square, mais aussi après les autres. Pas Bouyou, il avait peur de Bouyou, mais il embêtait le pauvre vieux Ernest...

Et nous... Lorsqu'on venait au pré, on avait toujours un nez jaune quelque part. Dans le dos, sur l'épaule, dans la poche, dans les mains.... Il est mignon Qualisto, mais enquiquinant, envahissant, et là, c'est un problème ; j'y reviendrais.



Qualisto est un peu âgé pour jouer comme il le faisait avec Square. On peut expliquer ce comportement par trois choses : son caractère propre (pourquoi pas, mais les éthologues semblent dire que le jeu n'existerait pas chez le cheval adulte, le principe de néoténie peut contredire ce point au moins en ce qui concerne le cheval domestique, mais c'est un tout autre sujet), le fait qu'il soit castré qui a pu le maintenir dans un état juvénile, et l'absence d'occupation (de travail) qui le pousse à trouver une activité ...


Maintenant il se retrouve avec des chevaux plus âgés, qui eux ne jouent pas (ou moins et surtout pas aux mêmes jeux).
Qualisto est tout d'abord resté avec Ernest (les deux grands étant partis à l'herbe) son comportement envahissant envers nous c'est aggravé, d'autant plus qu'il dominait Ernest. Il se trouve à présent au pré avec un autre grand poney/ petit cheval (croisement d'islandais et de barbe) borgne et âgé de 20 ans lui aussi, Java.

Qualisto a tout d'abord tenté, avec un certain succès, de dominer Java, mais aussi de s'en faire un copain : il le colle, le suit, le renifle... Ils se battent assez souvent, Java est gentil mais importuné par cet envahisseur impoli. C'est sans gravité : ils sont de force égale, non ferrée et se séparent vite. Pendant quelques temps, Qualisto à le premier accès aux ressources, mais au bout d'une quinzaine de jours, la situation se stabilise et Jave domine franchement. Ils sont copains c'est-à-dire qu'ils mangent ensemble parfois, se font des grattouilles, mais Java a expliqué à Qualisto que certains jeux ne sont plus de son âge et qu'il entend manger la meilleure part ! Le comportement de Qualisto avec nous s'améliore sensiblement.


Qualisto manque de discipline

Donc, je le disais, Qualisto est un cheval envahissant.


Lorsqu'on entre dans son pré, on a une grosse tête jaune qui nous barre la route, éventuellement nous pousse. Ça peut sembler agréable dans un premier temps, il est affectueux, câlin, mais c'est équinement incorrect. Cela pose de mauvaises bases sur la relation homme /cheval.
C'est un soucis : on ne peut rien faire, on est envahi. Pire, si l'on veut s'occuper d'un autre cheval, celui-ci peut se faire attaquer (il ne le fait plus avec Java) et tant pis si nous sommes à proximité.
Au final, c'est dangereux et d'autant plus qu'il est franchement irrespectueux, ne se pousse pas et pire, les mauvaises bases  étant posées, lorsque l'on refuse de se laisser faire, il se rebiffe et menace... C'est-à-dire à chaque fois qu'on l'alimente, il couche les oreilles, tente de nous bousculer si l'on ne lui donne pas immédiatement le foin, voire, il tourne le cul si l'on lui demande de se pousser.

Étant donné la direction prise, deux situations sont possibles si rien n'est corrigé :
1) On le laisse faire, après tout, si on ne le contrarie pas, il reste gentil. On s'occupe de lui en priorité (et tant pis pour les autres propriétaires, quoique grâce Java, la situation semble s'être améliorée) ; on lui donne le foin vite fait, tant pis si c'est dans les crottins... (moyen tout de même !)
Le gros problème est que ainsi, on confirme sa dominance, le jour où on aura besoin d'une meilleure obéissance, on ne pourra pas. Le cheval se rebiffera voire blessera quelqu'un. "Je ne comprends pas, on a toujours été gentil avec lui pourtant !" ben voyons!

2) On sanctionne, à chaque fois, sévèrement même s'il faut. Un cheval dont on s'occupe régulièrement partage son temps entre beaucoup de soin, du travail, des récompenses, et parfois des sanctions. Dans le cas de Qualisto (qui n'est pas mon cheval, qui ne m'est pas confié au travail) la relation se baserait alors uniquement sur la sanction, il perdrait confiance et anticiperait, on le rendrait agressif.

Une solution en attendant une amélioration.
Heureusement, il y a un troisième chemin qui permet de mettre des limites. Il s'agit d'éviter la situation conflictuelle.
Attacher le cheval avant de distribuer l'alimentation permet de ne pas l'avoir dans les jambes et ainsi de ne pas se trouver en situation de devoir le sanctionner et de rester en sécurité (bien que je ne pense pas qu'il présente un danger à l'heure actuelle, ça peut venir.) Cela permet en plus de le manipuler, de le contraindre un tout petit peu. Si, en plus, on prend le temps de l'emmener à son tas de foin en main on instaure un bon statut de leader, et on entre carrément dans une relation positive. Ce faisant, on affirme notre statut de dominant car on en profite, le licol aidant, pour travailler le respect en main, on attend qu'il demande la permission pour le laisser manger.
La demande de permission se voit dans l'attitude du cheval : hésitation, détournement léger du regard, le nez par terre a distance, approche latérale... L'approche directe n'est pas autorisée, encore moins si les oreilles sont plaquées !


Après quelques temps, on peut recommencer à alimenter en liberté, mais il vaut mieux garder l'habitude de se munir d'une chambrière pour garder le cheval à distance si besoin est.


Voici Square : il prend le seau d'une manière latérale. Les oreilles sont couchées mais pas plaquées. En fait, elles ne marquent pas d'agressivité, mais plutôt de l'inquiétude et une certaine tension nerveuse. 

  En quoi le travail améliore ces problèmes ?

Dans la nature, le cheval ne travaille pas, il peut alors sembler étrange de considérer le travail comme salutaire, voire indispensable à un cheval. Le cheval sauvage doit affronter des obstacles ou situations variés. Des énigmes naturelles qu'il doit résoudre, pour boire, s'alimenter, procréer etc... La nature lui pose sans cesse des contraintes diverses.
Le cheval domestique n'a généralement pas ces soucis à résoudre, même si l'on essaie parfois de lui compliquer un peu la tâche (en utilisant des filets à petites mailles par exemple.) Cela lui laisse par conséquent beaucoup de temps libre, beaucoup de "cerveaux libre" aussi... il s'ennuie.

Le travail n'est pas nécessairement que de l'exercice physique, ce qui n'est déjà pas si  mal en soit ! On pose des énigmes au cheval, on peuple son esprit de données nouvelles qui doivent lui revenir par la suite. On prend un peu du temps de sa journée, pendant lequel on lui procure une occupation différente. On le mobilise.
Les propriétaires de Qualisto viennent le voir, il n'est pas à l'abandon, loin de là, mais ils ne lui posent pas de difficultés, pas de challenges, pas de contraintes.

Le travail permet d'entretenir de bonnes relation. Par le pansage déjà (mais on peut brosser sans faire travailler), par la mobilisation : on sait que le cheval qui fait bouger l'autre est le cheval dominant, la base du travail avec un cheval étant généralement le mouvement, on entre bien dans ce contexte. Cela donne des occasions de récompenser, voire de faire réfléchir le cheval. On entretient une certaine perméabilité de son esprit (disons, capacité à apprendre, à communiquer avec nous). Enfin, on passe un moment avec lui (bon de préférence) ce qui permet de créer des liens.
Les petites contraintes, les récompenses etc permettent de déterminer, de manière assez indirecte mais plutôt efficace si l'on reste cohérent dans notre manière d'agir entre temps avec le cheval, le cadre de la relation que l'on veut entretenir avec lui. On n'oublie pas que, à partir du moment où le deux-pattes est proche du cheval, ils sont en situation de travail (c'est-à-dire que le cheval doit être attentif à l'homme, en état de communiquer avec lui et de répondre à ses demandes.) Alors il est naturel qu'un travail construit favorise une bonne relation générale.
Pour rappel : une bonne relation ce n'est pas des câlins, c'est confiance et respect, pour l'essentiel.

Qualisto me sert ici d'exemple, parce que je le vois quotidiennement et que l'évolution de son comportement est caractéristique, mais il est loin d'être le seul dans ce cas.
Je vais présenter ici brièvement 8 autres chevaux en expliquant en quoi le travail leur est indispensable ou pas, tous ces chevaux vivent au pré avec un ou des compagnons.

Java environ 20, petit cheval ou grand poney de type rustique. Facile à soigner, ne pose pas de problème. Il semble apprécier la compagnie de l'homme mais aussi pouvoir s'en passer, ne semble pas avoir un gros besoin de travailler, mais il tirerait certainement un certain bénéfice à le faire (soin, occupation, entretiens de la santé par un travail approprié)



Bouyou, environ 20 ans. Bouyou souffre d'une déformation d'un postérieur suite à un accident. Il a été cheval de compétition et a du beaucoup travailler. Sa propriétaire actuelle s'occupe régulièrement de lui, mais il ne travaille pas. Il semble (il ne fait plus parti des chevaux que je soigne quotidiennement) bien équilibré ainsi. Il a eu néanmoins une phase agressive vis-vis de l'homme à son arrivée, en particulier lors de la distribution des repas. Le travail aurait peut-être pu améliorer rapidement les choses, mais je pense que le problème était situé ailleurs et plutôt lié à son passé de cheval de box (proximité, surpopulation) et son manque d'état (il est fort probable que ce cheval ait eu faim)



Joguette, 30 ans passés, a fait du club et servi de "jouet" à des enfants c'est ma ponette depuis une dizaine d'année. Elle semble apprécier de promener des tout-petits, mais de manière très épisodique et sur un temps très court. Elle a exprimé clairement vers ses 22ans qu'elle avait suffisamment travaillé dans sa vie en manifestant une assez mauvaise volonté, un gros manque d'entrain et un air dépité à chaque propositions. En revanche, un pansage régulier entretient les liens et un bon moral.

Ernest, 20 ans environ, a fait du club et sert de "jouet" à une famille. De même que pour les trois autres chevaux âgés mentionnés ci-dessus,  les soins et les attentions lui sont moralement plus profitable que le travail à proprement parler.

Square 5 ou 6ans, réformé des courses suite au claquage des tendons des deux antérieurs. Cheval craintif qui connait les bases de l'éducation. Il ne travaille pas et est peu manipulé. Bien qu'il ne présente pas de difficulté lors des soins ordinaires et est respectueux de l'homme (plus exactement, il est craintif), il lui serait profitable de travailler. La crainte risque de s'estomper et être remplacée par un excès de confiance et il risque de devenir envahissant (lié à la personne qui le manipule de temps à autre, qui autorise certains débordements "affectifs" (ce n'est pas de l'affection)). Le travail, et les soins et manipulations qui y sont liés, lui permettraient de prendre confiance et respect (cheval suiveur et respectueux), lui permettraient peut-être une meilleure confiance en lui. Cela mobiliserait aussi son énergie et éviterait que d'éventuels débordements causent un accident, dans une petite mesure.

Lili 14 ans, travaille de manière épisodique. Elle ne montre pas un gros besoin moral de travailler : son comportement reste régulier entre les périodes où elle ne fait rien et celles où elle travaille. En revanche elle a un très gros besoin de soin et de contact humain.

Lune ma jument de 14 ans, travaille assez régulièrement mais connait des périodes où elle ne fait rien. Le manque de travail la conduit à une agressivité accrue envers les autres chevaux et lui donne un mauvais oeil qu'on peut associer à un mauvais moral.

Qualima, 7 ans, travaille de manière épisodique. Devient rapidement agaçante ou agressive avec les autres chevaux durant les périodes où elle ne fait rien et envahissante et irrespectueuse vis-à-vis des deux-pattes, avec une tendance à la "réponse insolente" (c'est-à-dire à botter) si la période se prolonge.

Pour conclure, tout les chevaux mentionnés montrent un meilleur moral et une meilleur adaptation à la vie domestique, avec des soins réguliers (pansages en particulier). Le comportement des plus jeunes est grandement amélioré avec un travail régulier. Les chevaux plus âgés ont généralement un comportement plus adéquat, ce qu'on peut mettre sur le compte d'une énergie moindre et d'une acquisition sur le long terme du comportement à adopter vis-à-vis de l'homme. En outre, le comportement des individus âgés évoluent moins que celui des jeunes.
Je n'ai pas mentionné la santé physique à laquelle profite généralement un travail régulier, que ce soit le surpoids (Qualisto et Lili essentiellement), la préservation du bon fonctionnement musculaire et articulaire (Lune en particulier, et la majorité des chevaux âgés... et donc des jeunes en prévention et à condition que le travail soit adapté.)

La vie des chevaux-tondeuses n'est pas la meilleure. Avoir un cheval demande du temps, même si l'on s'arrange pour lui procurer des conditions de vie optimales (pré, compagnons, alimentation).

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